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Les Fausses abandonnées
Les Fausses abandonnées
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11 décembre 2006

Dana Everyne 9/26

- Honnêtement, ce n'était pas prévu qu'elle passe. Tu sais bien que je n'attache pas beaucoup d'importance aux anniversaires de couple. Mais j'allais quand même pas la mettre dehors. "
    Il lève les yeux au ciel, puis me regarde d'un air faussement navré :
    - " Je suis trop gentleman !
  - Ça, j'en doute pas. En tout cas, je voulais te dire merci, parce que j'ai trouvé ça vraiment chouette. J'en avais les larmes aux yeux, tu sais.
    - Oh, j'ai fait pleurer ma grande petite-fille ! D'émotion, j'espère...
    - Bien sûr, imbécile !
    - On ne traite pas son grand-père d'imbécile !"
  Sur ce, il dirige le tuyau vers moi et m'arrose volontairement de la tête aux pieds. Non mais il est fou ! Et en plus il est tout content de lui, avec son large sourire satisfait. Je n'ai rien vu venir. Mais le pire, c'est que je n'ai rien à portée de main pour me venger. Je ne vais quand même pas lui arracher le tuyau pour lui rendre la pareille !
    - " Tu ne perds rien pour attendre, grand-père !
    - Ne sois pas trop pressée, ma chérie. Je suis un vieux monsieur sans défense... "
  C'est vrai qu'il a passé l'âge de faire des batailles d'eau. Et bien qu'il soit d'une nature plutôt robuste, je ne voudrais pas qu'il tombe malade à cause de moi. Je hausse les épaules, toute trempée. Je n'ai plus qu'à me changer ! Mais grand-père m'arrête au moment où je passe la porte-fenêtre :
    - " Dana, j'ai enregistré le passage à la radio. J'ai pensé que ça te ferait plaisir de l'avoir. La cassette doit être encore dans l'appareil.
    - Merci, grand-père. Tu as raison, ça me fait plaisir, même si c'est déjà gravé là... "
    Et je lui désigne du doigt mon front.

    Mon escapade chez les bouquinistes a été intéressante. J'en ai ramené une dizaine de livres, tous plus jaunis les uns que les autres. J'ai même trouvé une magnifique édition de 1864 de Mon cœur mis à nu, dont le célèbre auteur n'est autre que Baudelaire. C'est grand-père qui m'a appris à déceler dans ces étalages souvent désordonnés les livres rares et anciens. De ceux qui trônent dans sa boutique, il y en a beaucoup qui proviennent de mes trouvailles. Il a été très content quand je lui ai montré le Baudelaire, acheté deux euros. Il va le faire expertiser par un ami libraire, et, après que lui et moi l'ayons lu, il le rangera dans la bibliothèque de sa boutique en attendant que ce bijou fasse le bonheur d'un collectionneur, en échange bien sûr d'une somme un peu plus rondelette que celle que j'ai déboursée. C'est comme ça que marchent les affaires, comme dirait grand-père. Le destin d'un livre est d'être lu et il doit circuler de main en main pour survivre. Moi aussi j'aime lire un livre dont les pages ont déjà été tournées une centaine de fois, et qui a suscité l'intérêt de plusieurs inconnus. Mais ce que j'aime par-dessus tout, c'est de pouvoir les admirer alignés dans l'immense bibliothèque de ma chambre. Grand-père trouve ce gaspillage affreux, mais moi j'aime ça. Je conserve mes livres comme des trésors, je prête ceux que j'aime le plus à qui veut bien partager ma passion, grand-père surtout, parfois ses amies. Ils peuvent déserter mes rayons pendant des mois sans que je m'inquiète, je sais qu'ils reviendront tôt ou tard, cornés à de nouveaux endroits, un nouveau parfum embaumant les pages.

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