Patrisia Ydrissi, 3/22
Voilà
toute l'histoire ! Pendant deux mois, tout est resté clandestin. Et puis, le
secret a été découvert, à la grande surprise de ceux qui croyaient que Killian
avait perdu tout espoir. Depuis une semaine, on ne cesse de venir me voir et de
me féliciter. Alors que depuis le début, les gens se rangeaient plutôt de mon
côté pour dénigrer les sentiments de Killian, maintenant je n'entends que des
marques d'estime, et c'est moi que l'on blâme d'avoir attendu aussi longtemps.
Allez savoir ce qui les a fait changer d'avis ? La vérité, c'est que mes
collègues sont suffisamment respectueux pour être hypocrites et pour s'adapter
à n'importe quelle situation. Leur attitude n'est pas mesquine, elle se nourrit
seulement du peu qui se passe autour d'eux. Et j'en fais autant quand il s'agit
des autres. Mais c'est vrai que Killian et moi, on a fait pas mal jaser ! La Rochelle
Mais trêve de souvenir ! En cette
fin de journée estivale, débarrassée de mes élèves, et pressée d'aller faire ma
valise, je rentre chez moi. Demain, à la première heure, Killian m'emmènera à
Quand
j'ouvre la porte de mon appartement, la fraîcheur préservée par les stores
baissés sèche les gouttes de sueur qui commencent à perler le long de mon
corps. La porte est à peine refermée que j'envoie valser mes escarpins. Après
c'est au tour de mon déguisement de prof stricte, une jupe beige mi-longue avec
sa veste assortie et un top en soie tout simple. L'austérité du personnage s'en
va à mesure que les vêtements tombent à mes pieds. Ma sacoche est abandonnée
sur le canapé, et ne bougera probablement pas avant lundi matin... J'ai du mal
à comprendre comment j'ai pu devenir aussi distante vis-à-vis de mon travail.
Mes débuts étaient si optimistes ! Je me souviens du plaisir et de la fierté
que j'avais ressentis en préparant mon année ! J'avais même été jusqu'à me
croire capable de rénover l'enseignement... Il ne m'a pas fallu longtemps pour
redescendre sur terre. La première rédaction, un petit texte libre sur les
vacances, un petit test discret pour évaluer le niveau, m'a vite donné un
aperçu de l'ampleur du travail qu'il y avait à l'horizon... Quelle que soit la
classe, tout était à reprendre. Je n'avais pas prévu un tel retour en arrière
et mon programme s'est brisé en même temps que mes illusions. J'ai du
m'adapter, et ranger au placard mes rêves d'innovation. J'ai du réviser mon
barème, et j'ai appris à me satisfaire du moindre progrès, un zéro en dictée
valant mieux qu'un zéro moins trente-six... J'ai même été tentée plusieurs fois
de monter mes notes, écœurée par celles perpétuellement en dessous de la
moyenne, et touchée par les efforts de mes élèves. Mais ma conscience me disait
que non, elle me murmurait que je ne leur rendrais pas service en m'apitoyant
ainsi. Qu'est-ce que mon métier me rend triste parfois ! Comme je regrette
d'être aussi lâche quand il s'agit de me battre pour mon rêve de petite fille !
Toute ma carrière est devant moi, et je suis déjà fatiguée rien que d'y penser
! Est-ce que c'est normal ? Je ne cesse de me poser la question, je me demande
même s'il ne serait pas trop tard pour changer d'orientation.