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Les Fausses abandonnées
Les Fausses abandonnées
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2 mars 2007

Patrisia Ydrissi, 3/22

Voilà toute l'histoire ! Pendant deux mois, tout est resté clandestin. Et puis, le secret a été découvert, à la grande surprise de ceux qui croyaient que Killian avait perdu tout espoir. Depuis une semaine, on ne cesse de venir me voir et de me féliciter. Alors que depuis le début, les gens se rangeaient plutôt de mon côté pour dénigrer les sentiments de Killian, maintenant je n'entends que des marques d'estime, et c'est moi que l'on blâme d'avoir attendu aussi longtemps. Allez savoir ce qui les a fait changer d'avis ? La vérité, c'est que mes collègues sont suffisamment respectueux pour être hypocrites et pour s'adapter à n'importe quelle situation. Leur attitude n'est pas mesquine, elle se nourrit seulement du peu qui se passe autour d'eux. Et j'en fais autant quand il s'agit des autres. Mais c'est vrai que Killian et moi, on a fait pas mal jaser !
 Mais trêve de souvenir ! En cette fin de journée estivale, débarrassée de mes élèves, et pressée d'aller faire ma valise, je rentre chez moi. Demain, à la première heure, Killian m'emmènera à

La Rochelle

pour sillonner la ville qui l'a vu grandir. C'est autant la perspective d'une visite guidée intimiste que celle d'un week-end en amoureux tranquille et reposant qui me rend euphorique. J'ai tellement besoin de retrouver la quiétude et l'insouciance de l'existence, de voir la mer, de flâner avec l'homme que j'aime.
     Quand j'ouvre la porte de mon appartement, la fraîcheur préservée par les stores baissés sèche les gouttes de sueur qui commencent à perler le long de mon corps. La porte est à peine refermée que j'envoie valser mes escarpins. Après c'est au tour de mon déguisement de prof stricte, une jupe beige mi-longue avec sa veste assortie et un top en soie tout simple. L'austérité du personnage s'en va à mesure que les vêtements tombent à mes pieds. Ma sacoche est abandonnée sur le canapé, et ne bougera probablement pas avant lundi matin... J'ai du mal à comprendre comment j'ai pu devenir aussi distante vis-à-vis de mon travail. Mes débuts étaient si optimistes ! Je me souviens du plaisir et de la fierté que j'avais ressentis en préparant mon année ! J'avais même été jusqu'à me croire capable de rénover l'enseignement... Il ne m'a pas fallu longtemps pour redescendre sur terre. La première rédaction, un petit texte libre sur les vacances, un petit test discret pour évaluer le niveau, m'a vite donné un aperçu de l'ampleur du travail qu'il y avait à l'horizon... Quelle que soit la classe, tout était à reprendre. Je n'avais pas prévu un tel retour en arrière et mon programme s'est brisé en même temps que mes illusions. J'ai du m'adapter, et ranger au placard mes rêves d'innovation. J'ai du réviser mon barème, et j'ai appris à me satisfaire du moindre progrès, un zéro en dictée valant mieux qu'un zéro moins trente-six... J'ai même été tentée plusieurs fois de monter mes notes, écœurée par celles perpétuellement en dessous de la moyenne, et touchée par les efforts de mes élèves. Mais ma conscience me disait que non, elle me murmurait que je ne leur rendrais pas service en m'apitoyant ainsi. Qu'est-ce que mon métier me rend triste parfois ! Comme je regrette d'être aussi lâche quand il s'agit de me battre pour mon rêve de petite fille ! Toute ma carrière est devant moi, et je suis déjà fatiguée rien que d'y penser ! Est-ce que c'est normal ? Je ne cesse de me poser la question, je me demande même s'il ne serait pas trop tard pour changer d'orientation.

  

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