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Les Fausses abandonnées
Les Fausses abandonnées
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13 décembre 2006

Samantha Karmel 5/9

   

Et puis j'ouvre mon abri, je m'enferme de mon plein gré entre ces murs tant détestés. Je retrouve le même papier peint que l'on avait posé ensemble, je retrouve cette odeur d'eau de Cologne qui s'échappe de la moquette, témoignage d'un flacon que Mattheuw avait renversé un jour, en voulant m'embrasser... Franchement, comment pourrais-je oublier dans ces conditions ? Il serait si simple de changer le papier peint, de changer la moquette, mais même ça je ne peux pas. Il y a toujours cette petite voix qui me retient, qui me dit Non, ne fais pas ça ! Tu vas le regretter ! Tu n'as pas le droit ! Alors j'abdique, sans grande difficulté.
Sam_02    Je glisse le disque dans le lecteur DVD, mon unique hommage à la nouvelle technologie, et je me glisse dans mon canapé-lit. J'ai la télécommande à ma gauche, un bol de céréales à ma droite, la lumière est éteinte, je suis prête. C'est comme un rituel, avec des gestes religieux, l'esprit dans une autre sphère. Le cinéma, c'est encore une forme d'évasion interne. Chaque soir, je vis de nouvelles aventures, je suis amoureuse, aventurière, séductrice, victime, jeune, vieille, roturière, femme d'affaire. Je profite des possibilités infinies qu'offre la vie. J'en profite en pensant que, comme ce n'est que du cinéma, il ne peut rien m'arriver, que je retrouverai quoi qu'il arrive mon chez-moi dans le même état que la veille, aussi insipide que douillet, aussi réconfortant que contraignant. Et puis, c'est le seul instant où je peux laisser aller mes émotions, où je peux desserrer les liens qui les emprisonnent. J'ai peur devant un film d'horreur, je pleure si c'est triste, j'esquisse un sourire si c'est comique, je suis nerveuse quand il y a un suspense insoutenable. Je vis l'histoire comme s'il n'y avait pas de scénario ni de caméra, je la vis comme si elle pouvait un jour me surprendre pour de vrai. Je suis ébahie devant certaines répliques, je me dis que c'est impossible de parler comme ça, de sortir, d'improviser un discours pareil. Mais j'en apprends quand même quelques-unes par cœur, par pur prestige, alors que je sais très bien que jamais je ne pourrais les replacer dans une conversation. Ce n'est pas mon genre de chercher à impressionner.
    "Rencontre avec Joe Black"... Un vieux bonhomme, campé par Anthony Hopkins, se voit contraint d'héberger la mort en personne, sous les traits de Joe Black. Il doit l'aider à découvrir ce qu'est la vie terrestre, avant que la mort ne l'emporte. C'est un affrontement d'une rare intensité, entre l'amour de la vie et l'attrait de la mort. J'en ai les larmes aux yeux quand le générique défile avec la lenteur d'une oraison funèbre. Il y a un souffle chaud qui traverse l'appartement, qui arrive jusqu'à moi, qui m'enlace. J'aime cette sensation de satisfaction après un film qui m'a bouleversée. Cela n'arrive pas souvent, mais quand ça arrive... Ah ! Quand ça arrive, c'est merveilleux. Et c'est exactement ce que je ressens en ce moment. Et puis, il y a cette fatigue qui accroît les sensations. Le sommeil me prend, je me laisse aller dans ses bras, je sens que je m'endors. J'ai passé une bonne journée...

Sam_05    C'est étrange. Le soleil ne m'arrive pas de la fenêtre, j'ai plutôt l'impression qu'il est juste au-dessus de moi. Je sens bien que je suis dans mon lit, j'ai les yeux fermés, je respire l'odeur de mes draps, je suis en terrain connu. Mais j'ai une drôle de sensation, une sensation de claustration. Je suis sûre que si je tends les bras de chaque côté, je serai bloquée par quelque chose d'épais et rocheux. Alors, je garde les bras enfouis sous mon ventre, par peur de donner raison à mon instinct. C'est comme un rêve éveillé. Je me sens réveillée, je me sens bouger dans mon lit, et en même temps je ne peux pas ouvrir les yeux, ni commander mon esprit. Mon rêve me retient. Et puis tout à coup, je sens distinctement l'acier se poser contre ma tempe, j'entends le clic d'un revolver prêt à faire son office. Je suis tétanisée, je ne peux pas faire un geste pour me défendre. Une main glaciale s'assoie sur mon épaule. Ce n'est pas une main humaine, on dirait plutôt la patte velue d'un animal. Mon cœur s'apaise. J'ai encore le souffle coupé mais j'ai moins peur. Le canon du revolver se soulève délicatement, puis se repose sur ma peau, se soulève à nouveau, puis se repose, comme s'il battait le tempo. Mais je ne sais pas ce qui se passe, je ne sais pas qui me menace. L'incertitude et l'angoisse montent. C'est alors que je distingue une voix. C'est... non, ce n'est pas possible, on dirait celle qui parle à William Parrish au tout début de Rencontre avec Joe Black :
    - "N'aie pas peur Samantha Karmel. Il est l'heure de venir avec moi, tout va bien se passer. Tu dois avoir confiance."
  J'ai compris. C'est la mort qui est venue me chercher. Je suis prise de vertige, et en même temps je m'entends lui répondre d'une voix fragile :
    - "Mais je n'ai que vingt-quatre ans ?
    - Et alors ? Cela n'a aucune importance. Il suffit de voir comment tu mènes ta vie pour savoir que ta place n'est pas sur terre. Tu n'as ni famille ni ami, tu n'as ni espoir ni courage. Tu gaspilles tout ce que te donne la vie. Tu es un rebut de l'humanité. Qu'as-tu apporté à la vie qui puisse lui donner envie de te garder ? (...)

 
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