Patrisia Ydrissi, 8/22
Killian
conduit dans cette ville avec une aisance incroyable. Il semble connaître
intimement les routes, leurs sinuosités et leurs secrets. Un touriste se
perdrait dans ce méandre d'indications, dans cette multitude de ronds-points et
de ruelles, moi-même, qui ne possède aucun sens de l'orientation, je m'y
perdrais. Je ne sais pas si mon air égaré l'amuse, mais j'ai l'impression que son
retour au pays, son besoin de se rapproprier la ville l'accapare au point de me
désorienter involontairement. C'est étrange tout de même, l'expression sur le
visage de Killian est celle d'un expatrié foulant sa terre natale après des
années et des années d'exil. Or je sais très bien que ce n'est pas le cas,
Killian revient ici aussi souvent qu'il le peut. Je crois d'ailleurs que ses
parents et sa sœur habitent dans le coin et qu'il a gardé des relations avec
pas mal d'amis d'enfance. Il est souvent invité dans la région à des
anniversaires, des mariages, des baptêmes. Il n'a jamais abandonné sa ville et
les liens qui l'attachent à elle sont si forts que ce doit toujours être avec
une émotion intense que Killian y est accueilli. Il est si beau quand il est
attendri comme ça, et c'est beau de pouvoir partager ça avec lui. la Promenade
Il est cinq heures et demi lorsque
la visite en voiture prend fin. Killian m'a tout montré, tous les lieux qu'il a
foulé, qui lui sont chers, qui ont participé à le rendre tel qu'il est aujourd'hui.
Le nombre d'anecdotes va en grandissant, et Killian lui-même s'étonne de voir
revenir autant de souvenirs. Tu m'inspires, il n'arrête pas de me dire
ça, cette ville veut absolument que tu saches tout de moi. Il me sourit
comme un enfant qui tendrait à sa maman son cadeau de fête des mères. Sa joie,
sa confiance, elles le rendent si beau. Killian est un homme que j'admire
beaucoup, mais je l'ai rarement vu avec une aussi belle assurance, avec toutes
ces étoiles dans les yeux. J'ai du mal à croire que ce soit moi qui fasse
naître cet air céleste et enthousiaste. Il ne cesse de me répéter que c'est la
première fois qu'il ressent autant de bonheur à faire visiter sa ville. Ce
serait flatteur de le croire, mais ne suis-je pas la seconde ? N'a-t-il pas
fait la même chose, par le passé, avec son ex-femme ? Je sais que ce n'est pas
quelque chose que l'on raconte à sa maîtresse, mais Killian n'a jamais été très
bavard quant à son mariage. Je sais seulement qu'il a duré deux ans, qu'elle
s'appelait Thia, et que c'est elle qui a demandé le divorce. Je n'ai jamais su
pourquoi. J'essaie de ne pas trop y penser, j'essaie de suivre l'instinct qui
me dit qu'avec moi, Killian repart à zéro, et que Thia est définitivement hors
de sa vie. Je n'ai pas trop de mal à vivre avec l'idée que je ne suis pas la
première femme de Killian, car l'amour de Killian me fait ressentir comme
telle. En fait, s'il y a bien un sujet qui ne doit pas poser de doute, c'est
bien celui-là. Je respecte le souvenir de Thia, et je respecte le silence qui
rôde autour de la rupture. Tôt ou tard, quand Killian le décidera, il me mettra
au courant.
Pour l'heure, Killian et moi sommes
descendus de voiture pour nous balader un peu. Le chemin que nous longeons
s'appelle