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Les Fausses abandonnées
Les Fausses abandonnées
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11 décembre 2006

Dana Everyne 11/26

En fait, Maritja se révèle être une très agréable personne. Quand on est passé la prendre tout à l'heure, elle m'a fait la bise, et m'a posé plein de questions au sujet de tout et de rien. Son intérêt était sincère et je n'y ai décelé aucune curiosité malsaine. Mais elle n'était pas venue uniquement pour bavarder avec moi, et grand-père est rapidement repassé au premier plan. Cela ne me dérange pas plus que ça et c'est avec une solitude joyeuse que je les dépasse pour avancer plus vite. Oui, forcément, accolés comme ils le sont, grand-père et Maritja traînent la patte. Alors, comme je sais où l'on doit se poser pour avoir la meilleure vue sur la dame de fer, je m'éloigne. Il y a des tas de badauds qui se dirigent dans la même direction. Le ciel se sera à peine obscurci que tous les alentours seront bondés de monde. C'est pareil tous les ans. Et c'est vrai que le spectacle vaut la peine d'être vu. Néanmoins, je ne partage pas la même agitation que grand-père, pour qui ce rendez-vous du 14 juillet est incontournable. Il ne m'a jamais expliqué pourquoi cet événement lui tenait tant à cœur. Moi, c'est la foule euphorique et émerveillée qui me fascine, autant que la pluie de lumière au-dessus de nos têtes. J'aime ces Oh !, ces Ah !, ces Waouh ! qui se joignent les uns aux autres pour ne former qu'un seul cri de joie. J'ai plaisir à mêler ma voie à ces acclamations.
    En attendant, Maritja et grand-père ne sont pas encore arrivés. C'est moi qui ai le sac à dos, et je ne les attends pas pour commencer à croquer mon sandwich. Rillettes et cornichon, comme je les aime ! Le soleil entreprend de s'éclipser, et le couple, distance respectueuse mais sourires mutins, me fait des signes et me rejoint. Grand-père, le délicat, sort la couverture en laine qu'il avait fourrée au fond du sac, l'étale sur la pelouse, et invite Maritja à s'y asseoir. Ce n'est pas à moi qu'il ferait tant de courbettes ! Elle est radieuse, et je vois bien que le charme du Dom Juan a fait son effet, je reconnais également le rictus satisfait de grand-père.
    La nuit en guise de décor, la féerie opère. Le décompte commence. Cinq, quatre, trois, deux, un... la lumière jaillit. Toute la foule est éclairée, l'obscurité brille de mille feux. La tour Eiffel me fait penser à une pyramide égyptienne, elle est l'incarnation d'une déesse dont le culte est la lumière, au pied de laquelle on se serre comme hypnotisé. Une fois que les spectateurs se sont bien habitués à cette illumination, le feu d'artifice commence. C'est digne d'une représentation céleste, et j'aime penser que ce sont des anges, et non des pompiers, qui organisent tout ça. Peut-être que ma mère y participe. Celle-là, cette fusée rose et jaune qui s'évanouit comme les branches d'un saule pleureur, c'est maman qui l'a préparée pour moi. Grand-père est tout aussi fasciné par ce flambeau éclatant que moi. Il a la bouche ouverte, les yeux rivés au ciel comme un enfant, sa main se détache de celle de Maritja. On dirait qu'il y lit comme moi un message, le geste d'un ange. Grand-mère peut-être ?
    Mais le spectacle s'achève aussi brusquement qu'il a commencé. La tour Eiffel va rester allumée toute la nuit, et puis il faudra attendre le nouvel an pour la voir à nouveau briller de tout son éclat. Pour ce soir, c'est fini. Les gens commencent à s'en aller, ils parlent tout bas, chuchotent presque. L'effervescence s'est évanouie en même temps que les dernières particules du final s'éteignaient. Quelques groupes de jeunes continuent à faire les fous, l'alcool aidant ! J'aimerai bien partager leur ivresse, mais ce n'est pas pour moi... Grand-père me demande si je veux rester encore un peu dans les parages :
    - " Non, je vais rentrer. Mais ne vous en faites pas pour moi si vous voulez finir la soirée quelque part. "
  Ce genre d'autorisation, grand-père ne se le fait pas dire deux fois. De toute manière, ils avaient certainement déjà prévu d'aller boire un verre dans un café, peut-être même un thé chez elle.
    Je rentre donc toute seule. Je longe les quais comme une âme en peine. Mais je n'ai pas de peine. Maman m'a fait un joli cadeau ce soir. La lune se reflète dans la Seine, et c'est très beau. J'ai le cœur en proie à une sorte de béatitude. Quand j'avance dans notre impasse et que la lumière du porche s'allume, je me sens pleine de confiance et d'espoir. Quoi qu'il arrive, j'ai un ange gardien qui veille sur moi, et qui s'occupe de mon destin.

    Nous sommes arrivés hier après-midi sur l'île de Groix. Une famille de pêcheur nous loue chaque année leur petite maison et on y reste deux semaines. C'est le seul endroit où j'aime aller en vacances. L'île n'est pas bien grande, mais elle offre tellement d'espace ! Et ses plages sont tellement belles ! Ce sont mes Caraïbes à moi.

 
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