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Les Fausses abandonnées
Les Fausses abandonnées
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11 décembre 2006

Dana Everyne 12/26

Grand-père passe généralement ses journées à rendre visite aux habitants de l'île et à discuter avec eux comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Ce qui n'est pas le cas, car grand-père est né à Paris, a toujours vécu à Paris, et n'a découvert la Bretagne que lorsqu'il a épousé Leliane. Mais grand-père et moi avons été immédiatement adoptés par ces insulaires taciturnes et gaillards. Ils prennent plaisir à nous voir tous les ans. Et même s'ils connaissent dans les moindres détails l'histoire de notre famille - ici une confidence circule très vite - ils n'ont jamais été médisants avec nous. Sur l'île nous sommes éloignés de tout. Une fois le bateau parti, nous sommes condamnés à y passer la nuit, et c'est une douce condamnation. Mais surtout, une fois le bateau parti, les relents du continent ne peuvent plus m'atteindre.
  Alors j'en profite pour filer à toute vitesse sur mon vélo et tous les jours je fais le tour de l'île. Quand je rentre à Paris, j'ai toujours l'impression de ramener deux pavés de ciment à la place de mes cuisses. Il me faut plus d'une semaine pour me remettre des courbatures. Mais sur le moment, postée fièrement sur la selle, je ne ressens ni douleur, ni fatigue. La liberté à l'état pur ! La désinvolture gracieuse et primitive !
    Il y a quelques années, on m'a fait découvrir une petite crique paradisiaque. Et c'est là, comme aujourd'hui, que je viens me prélasser et faire la crêpe. C'est au pied d'une falaise, et on y accède en traversant des tas de rochers brûlants au soleil. C'est le parcours du combattant pour mériter le plaisir de s'étendre sur ce sable. D'où mon aversion à y emmener grand-père, il se casserait quelque chose, maladroit comme il est ! La solitude à la Robinson ! Mais avec tout le confort que procurent une bonne crème solaire, un bon casse-croûte, et une bouteille d'eau bien fraîche, un livre aussi... Que demander de plus ?
    Là, en ce moment tant privilégié, je suis affalée à même le sable mouillé, et je somnole. Je suis une sirène échouée sur la plage, qui attend son prince charmant pour l'emmener loin de son royaume aquatique. Je trace paresseusement avec le doigt des formes, des mots sur le sable. J'attise les rayons du soleil qui me visent avec ostentation. C'est d'ailleurs pour cela qu'à chaque fois, je reviens également à Paris avec le dos dix fois plus bronzé que le reste... Mais qu'importe, c'est tellement bon. Et puis, le moment que je préfère ne va pas tarder. Je le sens qui arrive. Je suis toute sèche, et en même temps ma peau ruisselle de transpiration. C'est au moment où la chaleur devient presque insoutenable que les vagues remontent jusqu'à moi. La marée a fait son chemin, et vient maintenant se glisser sous moi, me rafraîchissant de son écume. D'abord les pieds, puis les fesses, la poitrine, les épaules. Elle va et vient et rapidement me recouvre entièrement. Tous les pores de mon corps bouillant boivent cette eau régénératrice et glaciale. Les vagues s'aventurent vers le sable sec et reviennent sur elles-mêmes, disparaissant et renaissant à chaque fois de plus belle. J'aime cette idée que l'eau se sépare de la terre, qu'entre elles, il y a une indéfinissable incompatibilité. La pluie qui fait des flaques, les falaises qui cloisonnent les mers... Une fois que je suis entièrement mouillée, que ma peau et mes longs cheveux bruns salés se sont habitués à la température de l'eau, je me lève pour aller faire quelques brassées là où je n'ai pas pied. Mais je ne me hasarde pas trop dans les eaux sombres où mes pieds risqueraient de rencontrer des choses gluantes et visqueuses, des poissons, bien sûr, mais aussi toutes sortes d'animaux fabuleux que personne n'a jamais vus, et dont personne ne peut donc attester de la non-existence. C'est froussard, je vous l'accorde, et un peu bête, mais on se refait pas !

 
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