Patrisia Ydrissi, 15/22
Méziene
et Florynda ont rajouté deux chaises à notre table et s'assoient. Ils ont l'air
drôlement soulagé d'avoir retrouvé leur rôle de parents. Les taquineries vont
bon-train. ça encore c'est une nouveauté pour moi, la rencontre de ceux qu'il
est encore trop tôt d’appeler beaux-parents. Je me sens soulagée et je souris à
la belle anecdote que nous aurons à raconter plus tard, lorsque l'on nous
demandera comment c'est passé la première rencontre avec les parents de
Killian... Les sourires et les regards que me lancent les Audeline sont doux et
engageants, ils m'incitent à parler librement, avec aisance, de tout ce qui me
concerne. Florynda s'illumine lorsque je lui demande de me parler de l'enfance
de Killian. Ce dernier ronchonne mais il est le premier à rire à ses propres
dépens. Le moment est un pur plaisir. Ça c'est
quelque peu gâté, du moins je me suis sentie mal, lorsque la maman a posé la
question que je redoutais, à savoir comment nous nous étions rencontrés. Là,
j'ai un blanc et je regarde Killian. Il a la même lueur dans les yeux, celle
qui cherche à savoir si le mieux est de dire la vérité, de l'altérer, ou
carrément de mentir. Le silence dure, et Florynda, sans pour autant s'impatienter,
demande :
- " C'est trop intime,
peut-être ? "
Killian alors décide de prendre la
parole. Je sais d'ores et déjà qu'il n'inclura pas dans l'histoire ce qu'il
refuse lui-même de voir comme de la vilenie. Alors que Killian parle du
collège, de la longue attente qui a porté ses fruits, j'ai l'impression de
trahir ses parents. Leur générosité devrait nous inciter à l'honnêteté. Mais
l'honnêteté ainsi conviée risquerait de gâcher cette bonne entente naissante,
de jeter un froid non désirable, de changer le regard bienveillant que Méziene
et Florynda portent sur moi. Suis-je donc lâche ? Est-ce que c'est de la
lâcheté que de me ranger aux côtés du discours faussé de Killian ? Quand je lui
en parlerai Killian me dira que ce n'est pas du tout ça, que j'ai encore et
toujours tort d'écouter ma mauvaise conscience. Non, en fait, je garderai ça
pour moi, et Killian n'aura pas à me faire un de ces fâcheux sermons.
Il est une heure du matin lorsque
nous nous séparons. Et à ma grande surprise, au moment où je pensais passer la
porte pour reprendre la voiture, Méziene tend à Killian une clé. J'avais oublié
que cet établissement faisait aussi hôtel... Le vieux couple nous abandonne aux
pieds de l'escalier, nous tendant une chandelle pour nous éclairer jusqu'à la
chambre. Mais avant de disparaître, Florynda me dit :
- " Bonne nuit, Patrisia ! Vous
mangerez avec nous demain midi ? Floralie et sa petite famille seront là.
"
Je regarde Killian d'abord. Il me
sourit, et son sourire exprime le plaisir qu'il a de me voir ainsi invitée.
- " Ce sera avec plaisir !
"
C'est dans la chambre seulement que
je questionne Killian sur un point :
- " Dis-moi, Killian. Le
restaurant est fermé le dimanche ?
- D'habitude il ne l'est pas.
- Pourquoi cette exception ?
- Oh ! Et bien je pense qu'ils
voulaient passer un dimanche en famille.
- Ne me dis pas qu'il ferme leur
restaurant pour moi !
- Pas uniquement, ne t'inquiète pas
! Floralie et son mari partent lundi en Espagne pour une semaine, ils viennent
manger demain pour dire au revoir et pour laisser les garçons à leurs
grands-parents. Mais si ça te gêne de voir tout ce petit monde, je peux
comprendre, tu sais...
- Non, pas du tout. ça me fait
vraiment plaisir de rencontrer ta sœur. "