Patrisia Ydrissi, 10/22
Le
café m'a fait du bien. Je me sens prête à repartir. Mais au lieu de se diriger
vers la voiture Killian m'entraîne à l'intérieur du restaurant. La première
chose qui me frappe, c'est l'éclairage, l'éclairage à la bougie. De vrais
lustres à bougies sont accrochés au plafond, chaque table a son chandelier,
chaque couvert a son bougeoir, quatre énormes miroirs ornent les murs et chacun
d'eux possèdent leur parterre de bougies de toutes les formes, de toutes les
couleurs. C'est quelque chose de très impressionnant. La chaleur, la
virtuosité, la luminosité sombre des flammes me donnent un souffle au cœur.
Mais ce qui est d'autant plus étrange, c'est que ce tableau me rappelle
l'appartement de Killian, non pas qu'il s'éclaire uniquement à la bougie, mais
il a lui aussi un grand miroir avec la même myriade de couleurs. Néanmoins je
ne m'attarde pas trop sur la coïncidence. Un vieux monsieur aux joues bien
roses s'approche de nous et tend la main à Killian.
- " Méziene, je te présente
Patrisia, mon amie. Patrisia, je te présente Méziene, le patron du Kemal.
- Enchantée. C'est vraiment un bel
endroit que vous avez là. De toute ma vie, je n'ai jamais rien vu d'aussi
surprenant.
- Merci bien. Mais attendez, vous
n'avez pas encore goûté la cuisine de ma femme. "
Et tout en bavardant, il nous fait
traverser la salle et nous installe à sa meilleure table, c'est en tout cas ce
qu'il prétend. Méziene semble être quelqu'un de très volubile, mais ses gestes
bourrus trahissent une certaine timidité. Je n'arrive pas à définir ce qui me
fait penser ça, mais plus je l'observe et plus je décèle un malaise. Killian
aussi, dans sa façon de répondre à Méziene, paraît quelque peu troublé. C'est
une impression infime, mais quand mon intuition parle, j'ai l'habitude de
l'écouter. J'attends que Méziene, une fois les cartes tendues, ne s'éloigne
pour demander à Killian si tout va bien.
- " Oui, bien sûr. Pourquoi ?
- Je ne sais pas, je te trouve
nerveux.
- Non, je t'assure, tout va bien.
Peut-être que la journée m'a un petit peu fatigué moi aussi.
- C'est vrai qu'elle a été plutôt
mouvementée.
- Qu'est-ce que tu as préféré ?
- Alors là ! C'est difficile à dire
! J'ai ressenti en une journée ce que je n'ai jamais ressenti en vingt-six ans.
Ce que j'ai préféré ? Peut-être de savoir qu'il existait en ce monde quelqu'un
capable de me donner autant de bonheur.
- C'est vrai ? Tu crois que j'ai ce
pouvoir ?
- Cela ne fait aucun doute.
- Et tu ne penses pas que tu y ais
pour quelque chose ? Je ne fais que te rendre la monnaie de ta pièce. On est
fait pour faire le bonheur de l'autre, c'est pas plus compliqué que ça.
- Ah, c'est sûr que si tu vois les
choses comme ça ! Je vais vraiment commencer à croire que tout ça n'est qu'un
rêve.
- Dis-toi que ça l'a été, et qu'il
devient réalité... "
Il a une façon de parler, ce type !
C'est dingue. Il manie les mots de telle sorte que tout ce qui sort de sa
bouche devient poétique. Je ne suis pas professeur de français pour rien, et ma
sensibilité romanesque vibre à chaque fois que Killian prononce un mot. Il
maîtrise à la perfection la beauté du verbe et son pouvoir de séduction. C'est
quand même beau d'être la muse de quelqu'un.
Méziene est revenu pour prendre
notre commande. Il me conseille le rouget grillé à la menthe. J'adore le
poisson, j'adore goûter de nouvelles choses, alors j'acquiesce. Killian est
moins hardi avec son steak-frites. Une fois les plats apportés, et nos
assiettes entamées, Killian me demande comment je trouve l'endroit.