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Les Fausses abandonnées
Les Fausses abandonnées
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11 décembre 2006

Dana Everyne 13/26

Je ressors de l'eau comme le font les starlettes au cinéma, remuant du bassin, rejetant leurs cheveux en arrière. Tout de même, faut-il le préciser, ici il n'y a personne qui mate qui que ce soit. Les mouettes, à la limite. Et encore... Je pourrais même me promener toute nue que ça ne choquerait personne, puisque, justement, il n'y a personne ! Mais la pudeur me l'interdit, peut-être le jour où je ramènerai un beau jeune homme sur cette plage, peut-être alors m'y autorisera-t-elle. Enfin bon, pour l'instant, j'ai juste le temps de me sécher au soleil un petit quart d'heure avant d'enfourcher le vélo et de rentrer à la maison pour dîner. Les journées passent si vite...
  Mais quand je rentre, quelle surprise ! Il y a du monde dans le jardin ! Et une agréable fumée de barbecue s'élève dans le ciel ! Tous les invités se mettent à applaudir quand je passe la petite barrière. Grand-père se dégage de la foule et lève les mains au ciel en venant vers moi :
    - " Ah, te voilà ! On n'attendait plus que toi !
    - Mais qu'est-ce qui se passe ? "
    Il me chuchote à l'oreille, comme s'il était aussi gêné que moi :
  - " J'ai malencontreusement dit à Mahady que t'avais eu la mention Très Bien au bac, et comme tu sais qu'ici les gens n'ont pas souvent l'occasion de s'amuser, ils ont improvisé ce petit barbecue pour te féliciter. "
    En effet, on me serre la main, "Ah, la cachottière !" Tout cet enthousiasme me va droit au cœur. Et je passe une soirée délicieuse en compagnie de ces gens qui me connaissent bien mieux que mes voisins parisiens. Quand je dis que cette île est paradisiaque, je ne modère pas mes mots !

    Le retour à Paris est déprimant. Je commence à en avoir marre de n'avoir que mes livres pour seule compagnie. Je ressens comme une aiguille perdue sous ma peau le contraste entre le florilège d'aventures que je lis et l'ennui que je vis quand j'arrive à la dernière page. Je me promène dans les rues de Paris, sans but, un peu comme on promènerait son chien. Je devrais peut-être d'ailleurs m'acheter un chien, j'aurais l'air moins ridicule. Si je ne me promène pas, je regarde par ma fenêtre, celle qui donne sur la cour. Je l'ouvre et m'accoude à mon petit balcon en fer forgé, un peu comme Juliette. Mais pas de Roméo en vue. Le cortège qui s'aventure dans l'impasse n'est constitué que de voisins, de clients, de grand-père serrant la main d'un acheteur, de Maritja parfois. Tous me disent bonjour avec un sourire affable. Je leur réponds des banalités : Quelle chaleur ! Qu'est-ce que vous avez acheté de beau ? Je joue la carte de l'indifférence alors même que je voudrais moi-même paraître plus aimable, plus intéressée. Je n'aime pas l'image de la concierge, mais elle n'est pas forcément et uniquement négative. Elle incarne, quand elle n'est pas trop curieuse, l'intérêt pour le genre humain. Elle est la convivialité, la serviabilité, elle est le petit mot de réconfort. Moi aussi, du haut de ma fenêtre, je voudrais dire à Maritja qu'elle devrait faire attention, que grand-père m'a confié qu'il n'aimait pas sa façon de toujours parler de son défunt mari, je voudrais dire à ce monsieur qui vient d'acheter l'édition complète et reliée des oeuvres de Maupassant que c'est moi qui l'ai trouvée au marché aux puces, je voudrais leur dire tant de choses. Je voudrais crier sur les toits tant de choses ! Et, même si j'arrive à rire de tous ces commérages avec grand-père, je ne lui ai jamais confié mes propres rumeurs. Ces vagues de mots, de sensations, de souvenirs qui m'environnent, qui engloutissent ma capacité à communiquer.

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